Illusions by Simon Tremblay-Pepin

Auteur:Simon Tremblay-Pepin [Tremblay-Pepin, Simon]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Lux Éditeur
Publié: 2023-03-22T00:00:00+00:00

Quatrième filtre : les contre-feux et autres moyens de pression

Ce filtre est d’une autre nature que les précédents. Le contre-feu désigne la capacité de certains groupes organisés d’attaquer un journaliste, une publication ou un intervenant. Concertée et menée simultanément à la diffusion d’une information, une telle attaque a pour effet de jeter le doute sur cette information, l’expulsant de facto de la sphère publique. Elle peut aller jusqu’à discréditer et entraver toute démarche de la personne visée, l’empêchant de faire son travail.

On discréditera publiquement des journalistes en attaquant leurs méthodes ou leur personne. On pourra aussi procéder plus discrètement, en refusant de leur communiquer de l’information ou en ne le faisant qu’avec une mauvaise grâce extrême, et parce qu’on y est légalement obligé. Les intervenants, eux, seront attaqués pour leur manque de sérieux, leur extrémisme ou le peu de pertinence de leurs commentaires, une manière comme une autre de les faire sortir de l’espace public.

Jeter publiquement le discrédit sur les journalistes n’est pas particulièrement fréquent, mais c’est d’une efficacité redoutable. De façon plus discrète, on peut leur mettre des bâtons dans les roues. Ce genre de vexations arrive plus souvent à l’échelon local ou régional : votre article n’aura pas plu aux notables et soudain les promoteurs, les entrepreneures et la mairie refuseront de vous parler pendant quelques semaines, ou alors on vous accordera de très brèves entrevues sans substance ni valeur. Ce filtre indirect peut très bien être aggravé par un autre, plus direct, celui de la publicité : en plus de vous refuser une entrevue, on menacera de retirer telle publicité du média pour lequel vous travaillez. On devine que ces manœuvres peuvent également prendre pour cible l’ensemble d’un média.

L’affaire est simple : lorsqu’un journaliste ou un média devient gênant pour l’ensemble d’une « communauté publique » (les politiciens, les hommes d’affaires, les artistes), cette communauté aux intérêts généralement divergents trouve un intérêt commun à éjecter ce grain de sable de sa mécanique, de préférence en prétextant des raisons autres. Par exemple, un journaliste qui publie une histoire de corruption qui met en cause des promoteurs immobiliers et une municipalité pourrait très bien se voir attaquer publiquement sur le plan de sa vie privée : on jette sur lui l’opprobre, technique efficace pour détourner l’attention de soi.

Mais les médias ne sont pas toujours les victimes de ces contre-feux, ils en sont parfois les acteurs : une série de chroniques qui s’en prend à un intervenant spécifique pour attaquer sa crédibilité, une série d’articles qui donne généreusement la parole à ses adversaires les plus féroces sans lui céder de droit de réplique, des caricatures qui frappent toujours sur le même clou… voilà quelques méthodes parmi les plus usuelles. À l’inverse, on peut choisir de faire le silence complet autour d’une personne ou d’une organisation en lui refusant entrevues, lettre ouverte ou quelque couverture que ce soit.

Ce filtre a probablement, ici aussi, des effets plus indirects que directs. C’est parce les journalistes savent qu’ils risquent de se « brûler »

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